Retournement d’une PME proche de la cessation de paiement
Direction de transition pour un retournement suivi d'une vente

Conduite d'une procédure de redressement judiciaire- Etape 2

ETAPE N°2 : La conduite du RJ

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L’audience vient de s’achever. Votre entreprise vient d’être placée en redressement judiciaire. Un document manuscrit vous est remis :

- précisant le jugement (date, ouverture de la procédure RJ à titre principal)

- contenant la nomination de l’équipe judiciaire en charge de votre dossier (Juge Commissaire [JC], Juge commissaire suppléant, Administrateur(s) Judiciaire(s) [AJ], Mandataire(s) Judiciaire(s) [MJ], Huissier).

- fixant la période d’observation de 6 mois*.

- fixant une prochaine audience 2 mois après la date du jugement.

1 – Le jour même :

a ) Rencontrez si possible l’Administrateur Judiciaire sinon convenez d’un rendez-vous proche. L’AJ a été nommé avec une mission précise qui peut-être vous a échappée dans le rendu de jugement ! Il existe deux types de mission :

  • la première dite d’assistance : le dirigeant exécutif de l’entreprise poursuit sa mission assisté de l’AJ.
  • la seconde dite de représentation (parfois dite d’administration) : c’est l’AJ qui assure la direction de l’entreprise.

Il est important que s’établisse une relation de confiance. C’est l’intérêt des deux parties. Durant cette première réunion :

-  vous serez sollicité pour fournir des documents (renseignements juridiques, comptables, sociaux, attestation d’assurance en vigueur, contrats en cours, litiges et procès en cours). Une liste précise vous sera donnée. Ces documents permettront à l’AJ d’élaborer son Bilan Economique, Social et Environnemental, lequel sera examiné à la prochaine audience qui décidera de la poursuite de la période d’observation.

- l’AJ vous fixera les contraintes inhérentes à la procédure :

  • Les interdictions : règlement de créances nées antérieurement au jugement, impossibilité d’engager une garantie sur les actifs, de céder des actifs, de faire fonctionner les comptes bancaires existants, de procéder seul à des licenciements pour motif économique.
  • Les recommandations : paiement à l’échéance des créances nées régulièrement après le jugement, déclarations fiscales et sociales, prendre toute mesure relative à l’hygiène et la sécurité du personnel, à maintenir à jour les polices d’assurances, à informer de tout mouvement d’effectif
  • Le reporting : la situation de trésorerie est l’élément primordial ! La confiance de l’AJ est souvent directement proportionnelle tant à la capacité de la direction d’établir un plan fiable actualisé qu’au niveau de la trésorerie elle-même.

 

b) Réunissez votre comité de crise et faite lui un compte-rendu clair de ce qui s’est passé au Tribunal. Pas d’interprétation, restez factuel et insistez sur le fait que l’entreprise est placée sous la protection du Tribunal de Commerce et bénéficie d’une procédure de redressement judiciaire avec période d’observation de 6 mois. Assurez-vous que chacun d’eux a connaissance de son rôle et répondez à leurs questions. Abstenez-vous de répondre aux questions dont vous ignorez la réponse mais prenez en note de manière à éclaircir le problème à la première occasion (rencontre avec l’AJ).

 

c) Réunissez votre comité d’entreprise et faite de même. Ayez des propos rassurants. Toute pression supplémentaire est inutile. Ce type de situation est extrêmement déstabilisant pour le personnel. Si aucune convocation n’a été faite dans les délais, faites néanmoins une invitation préalable à l’ouverture de la réunion et démarrez la réunion par une officialisation de reconnaissance de la réunion par les titulaires du CE ou CCE. Informez-les qu’à l’issue de la réunion, vous rassemblerez l’ensemble du personnel pour une information de la situation.

 

d) Réunissez l’ensemble du personnel (sur chaque site) et donnez leur un message calme, précis. Le personnel de l’entreprise ne fait pas toujours la différence entre redressement judiciaire et liquidation judiciaire ! Insistez sur le fait que la période d’observation qui s’ouvre est une chance pour l’entreprise. Elle a à démontrer sa capacité à ne pas dépenser désormais plus qu’elle ne gagne (pas de nouveau passif), que l’intérêt de pérenniser l’entreprise est une préoccupation de tous les acteurs : personnel pour sauvegarder son emploi, clients pour continuer d’être approvisionnés, fournisseurs et banquiers pour avoir la possibilité de récupérer le paiement des factures gelées ou emprunts contractés. Donnez les échéances prochaines et ayez un discours apaisé et bref. Ensuite, répondez à leurs questions en ne formulant que les réponses pour lesquelles vous êtes surs de vous. Prenez note des questions non répondues pour leur apporter une réponse ultérieure. Pensez également que vous pouvez vous faire assister de l’administrateur judiciaire pour cette prise de parole. J’aurais tendance à ne pas le conseiller pour cette première réunion car le personnel ne doit, à aucun moment, douter de qui est leur dirigeant ! Profitez pour rappeler les consignes concernant la signature de documents (habilitation des personnes), le bon usage des tampons de l’entreprise (réception des marchandises) et la limitation des accès aux personnes étrangères à l’entreprise.

Au terme de cette réunion du personnel, pensez aux personnels non résidents sur le site en donnant toute priorité aux commerciaux terrain et aux personnels d’éventuelles agences commerciales. Privilégiez une conférence téléphonique de manière à ce que chacun puisse s’exprimer.

 

2 – Les jours suivants :

a) Enclenchez le plan de communication envers vos clients en respectant la hiérarchie des organisations en place et en veillant à la susceptibilité de certains d’entre eux. Les points importants sont :

  • Avoir un argumentaire concis clair sur les 2 ou 3 raisons principales à l’origine de la situation
  • Rassurez vos clients sur votre capacité à honorer leurs commandes. Parlez de la réaction des salariés et prévenez d’un retard si cela est inévitable. Soyez crédible !

Mettez-vous à disposition pour venir les rencontrer dans les prochaines semaines.

 

b) Coté fournisseurs, vous allez avoir des approches différentes :

 

  • Les transporteurs : La Loi Gayssot de 1998 dit qu’expéditeur et destinataire sont responsables solidairement du prix du transport. En conséquence, le transporteur, confronté à un expéditeur défaillant (votre société en RJ), peut se retourner vers les destinataires, vos clients, pour se faire payer le prix de sa prestation. Cette démarche s’avérant souvent catastrophique commercialement, les tribunaux de commerce acceptent souvent par ordonnance du juge commissaire l’apurement de dettes de transports nées antérieurement à la date du RJ. Il vous appartient de négocier un calendrier d’apurement accompagné d’un abandon partiel de créances. Prenez garde d’abus d’utilisation de la loi GAYSSOT ! Des transporteurs étrangers transportant des marchandises à partir d’un de vos dépôts hors de France pour servir le réseau de distribution de l’Europe du Sud ne sont en général pas éligibles à la loi Gayssot pas plus que les navettes intersites où vous êtes à la fois l’expéditeur et le destinataire !
  • Les prestataires disposant de certaines de vos marchandises : Le droit de rétention donne à vos créanciers la possibilité de conserver des marchandises que vous leur avez confiées (stockage, travaux de finition,…) jusqu’à ce qu’ils soient payées des sommes restant dues. Débloquez ces situations si les marchandises vous sont utiles et établissez avec votre fournisseur un calendrier d’apurement avec un abandon partiel des créances. Attention, le droit de rétention ne peut s’exercer que sur les marchandises présentes chez le prestataire avant le jugement. Certains prestataires ne bloquent pas les marchandises et tentent d’user du droit de rétention à postériori sur des marchandises acheminées postérieurement à la date de mise en RJ. Dans tous les cas, une ordonnance du juge commissaire est nécessaire à tout règlement. Comptez une petite quinzaine au mieux. La démarche consiste à demander à votre AJ le dépôt d’une ordonnance pour régler votre fournisseur. Vous devez justifier de l’intérêt commercial de récupérer les marchandises, adresser l’état des créances dues, le calendrier d’apurement convenu avec le prestataire et les montants à verser à chacune des échéances arrêtées. En général, n’espérez pas disposer des marchandises avant le premier règlement, lequel ne pourra intervenir qu’au terme du rendu d’ordonnance du juge commissaire (mis bout à bout, c’est un délai moyen de trois petites semaines à partir du consensus trouvé avec votre prestataire !).
  • Les fournisseurs porteurs de clause de réserve de propriété : beaucoup revendiqueront l’existence de clause. Attention aux débordements, nombreuses sont celles sans valeur !
  • Les représentants de fournisseur (commercial, responsable de service, huissier) se présentant pour établir un état des stocks de marchandises de leur provenance. Notre recommandation est de ne laisser personne pénétrer et de prier toute personne s’étant introduit dans les magasins sans autorisation de sortir immédiatement. Ne vous laissez pas intimider par le dire de telle ou telle personne. En refusant l’accès à toute personne étrangère à l’entreprise, vous exercez votre droit et les personnes qui se voient refuser l’accès ont toujours le recours de solliciter une décision de justice si elles le jugent nécessaire. A ce titre, c’est l’état de stock demandé par le Tribunal à l’Huissier de Justice qui fera foi le jour venu pour établir quelles sont les marchandises non payées et non transformées qui peuvent faire l’objet d’une clause de propriété.
  • Faites rapidement établir une liste exhaustive de tous les contrats en cours : Photocopieurs, lignes téléphoniques mobiles, voitures LLD, surfaces en locations, contrats d’énergie, les locations de containers, traitement des déchets, contrats de leasing,….Rapidement, certains de vos prestataires vont démarcher votre administrateur judiciaire pour demander si celui-ci entend ou non poursuivre le contrat existant. A réception de la demande, l’AJ dispose d’un mois pour apporter une réponse. Vous serez systématiquement questionné à chacune des demandes car l’administrateur judiciaire n’est pas qualifié pour prendre position ! Profitez de cette opportunité pour mettre un terme à des contrats superflus (une voiture par ci, un entrepôt par là, un photocopieur… toujours des charges en moins !). L’administrateur judiciaire possède le droit d’arrêter tout contrat non utile à l’entreprise défaillante. Usez de cette opportunité pour réduire vos charges !
  • Ne perdez pas le contrôle de vos approvisionnements ! Deux difficultés majeures vont se présenter à vous :

                        1 –  Nombreux sont vos fournisseurs qui vont vous ouvrir dans leur système informatique un nouveau compte client « société X RJ ». Ceci occasionne fréquemment l’abandon de toutes les commandes antérieures non livrées ! Il faut donc sans tarder éditer les commandes en retard et les commandes non livrées et repasser commandes des marchandises juste nécessaires. Pensez à rédiger vos commandes dans l’ordre des livraisons demandées.

                        2 – Le placement en RJ de votre société va modifier les conditions de règlement avec vos fournisseurs. La pro forma ne doit pas être généralisée. Néanmoins, ce mode de paiement très demandé des fournisseurs étrangers n’est pas facile à gérer. En effet, les fournisseurs, à réception d’un règlement pro forma, n’ont pas tous la possibilité d’identifier clairement la commande réglée. Certains fournisseurs créditent du montant de la pro forma votre compte client. Si le montant est supérieur à la commande la plus ancienne, voire la commande prête à être expédiée, ils libèrent cette dernière et pas celle dont vous aviez un impérieux besoin. Soyez précis dans vos règlements pro forma et précisez clairement la commande que vous réglez. Accompagnez le règlement d’un coup de téléphone au service commercial de votre fournisseur pour qu’il n’y ait pas de problème ! Si vous avez concédé une facturation pro forma, exigez de savoir :

                                   I) si la réception de l’argent sur le compte fournisseur est nécessaire au lancement de la commande ! Comptez dans ce cas un délai de plusieurs semaines.

                                   II) si l’appel de règlement est confirmé lorsque toute la marchandise commandée est prête (ou sur le point de l’être) à être expédiée. Dans ce cas, le délai de livraison sera proche du délai de transport majoré du délai de transfert bancaire. Ne pas le négliger car, avec certains pays, même de l’Union Européenne, il peut atteindre 4 à 5 jours ouvrés. Certains fournisseurs acceptent d’engager les livraisons dès lors où ils sont en possession du document de transfert de votre banque. Pensez à le demander !

                                   III) si votre compte client est assujetti par votre fournisseur à un encours maximum. C’est hélas souvent le cas et tout aussi souvent du domaine du non-dit !

 

c) L’huissier de justice nommé dans le cadre de la procédure va établir un état chiffré des actifs présents à la date d’ouverture de la procédure. C’est à partir de l’état des stocks qu’il inventoriera que seront examinées les clauses de réserve de propriété de vos fournisseurs. Il est donc important de lui mentionner tout changement d’état des dites marchandises.

 

3) les semaines suivantes….

Concentrez-vous sur la gestion de votre entreprise en ayant un œil constant sur la trésorerie. Les droits d’engager des dépenses doivent être restreints de manière à être totalement contrôlées. Veillez principalement aux approvisionnements. Ajustez-en le niveau dès que possible et prenez toutes les mesures pour réduire le besoin en fonds de roulement et les charges.

Dès que possible, reprenez le business plan fait avant l’ouverture de la procédure et affinez-en toutes les hypothèses. Mieux vaut considérer un chiffre d’affaires raisonnable, voire légèrement pessimiste que miser sur un levier que vous ne maîtrisez pas en totalité. Remettez en cause même ce qui vous paraît évident ! Ai-je besoin de cette surface, de cette machine achetée en leasing, de ce bureau, de cette agence ? Raisonnez Budget Base Zéro (BBZ). Prenez les mesures immédiates si votre entreprise est en sous-charge. Si toutes les mesures envisagées ne suffisent pas pour un retour à une exploitation positive, vous devrez ajuster les effectifs par un PSE (Plan de Sauvegarde de l’Emploi).

 

Voilà pour la période « coup de feu », la vie continue et la période d’observation court !

Vous souhaitez connaître la position à tenir dans tel ou tel cas, posez-nous votre question en apportant un commentaire à cet article, nous collecterons l’ensemble des demandes pour un éventuel article Etape N°3 !

 

Philippe DESPAS

 

* la durée de la période d’observation est généralement de 4 mois pour une procédure simplifiée de redressement judiciaire et de 6 mois pour une procédure générale de redressement judiciaire.

 

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