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Entreprise libérée et management de transition

Libération d'entrepriseLa vision des rapprochements possibles entre ces deux formes de management présentée ci-dessous, se base sur mes huit années d’expérience de direction de transition et ma formation aux principes de l’entreprise libérée auprès de l’organisation MOM21 (1). Je propose pour cela de répondre à  7 questions : Qu’est-ce que l’entreprise libérée ? Comment se déroule un processus de libération d'entreprise ? Qu’est-ce que le management de transition ? Les deux sont-ils compatibles ? Quels types de mission seraient adaptés ? Quelles sont les conditions du succès ? Quel avenir pour le mixte de ces 2 modes de management ?

 

Qu’est-ce que l’entreprise libérée ?

Je fais référence ici à un type d’entreprises de tailles et activités très variées ayant en commun d’avoir, chacune à leur façon, un style de management révolutionnaire par rapport aux pratiques dominantes et dont voici les grandes lignes :

Recherche de la performance en allant très loin dans la confiance donnée par le(s) dirigeant(s) au personnel productif : par exemple chez MORNING STAR (USA), transformateur de tomate de 400 employés, personne ne supervise personne, c’est la mission qui commande. Chacun est responsable de rédiger sa mission personnelle (façon dont il contribue à réaliser l’objectif de l’entreprise et à satisfaire les attentes des clients).

Cette grande liberté donnée au personnel se retrouve chez GORE, groupe chimiste américain de 9000 « associés », où les salariés peuvent aller voir directement qui ils veulent pour obtenir ce dont ils ont besoin pour réussir. Ils choisissent librement leurs engagements et les projets sur lesquels ils veulent travailler. De même, chez SOGILIS, petite société de développement de logiciels de Grenoble, la prise de commande associe systématiquement les responsables techniques qui ont la liberté d’accepter ou non la commande.

Priorité donnée au bonheur au travail : par exemple le dirigeant de SEMCO, fabricant brésilien de biens d’équipement de plusieurs milliers de personnes, défend l’idée que si l’on traite ses collaborateurs comme des adultes, ils se comportent comme des adultes : plus ils ont de liberté, plus ils seront productifs, satisfaits et novateurs. Dans cette entreprise, les employés fixent eux-mêmes leurs salaires et horaires de travail et les affichent.

Elimination de la hiérarchie, par exemple le Groupe Hervé, société de services de 2400 personnes basée en Touraine, est organisé en équipe de 15 à 20 personnes qui élisent chacune leur représentant vis-à-vis de l’extérieur qui a aussi un rôle de chef d’orchestre, de facilitateur, de régulateur, de médiateur. Citons aussi Jean-François Zobrist, dirigeant de la fonderie FAVI de 400 personnes, qui a tenu sa première réunion d’encadrement en annonçant aux cadres que c’était la dernière, que leur rôle traditionnel de contrôle était du passé et que désormais ils guideraient, aideraient et animeraient les opérateurs jusqu’à ce qu’ils puissent être autonomes et mesurer eux-mêmes leurs résultats.

Limitation de la taille et grande autonomie des entités qui constituent l’entreprise : équipes terrains de 15 à 20 personnes, comme dans le Groupe Hervé, et usines ou business unit ne dépassant pas un effectif de 250 à 300 personnes, comme dans le Groupe GORE.

Transparence financière, comme chez HCL Technologies (groupe de 84 000 personnes basé en Inde) où tout le personnel a accès aux indicateurs financiers et à un forum en ligne permettant des questions libres à la direction.

Mise en retrait du dirigeant par rapport aux fonctions hiérarchiques habituelles : par exemple chez Sol Finlande, numéro un finlandais des services de nettoyage, 8000 salariés, le rôle du DG consiste à principalement à organiser le succès, organiser l’environnement matériel et mental optimum et fournir les moyens de rendre le succès effectifs.

Les entreprises citées sont performantes économiquement, certaines sont leader mondial dans leur secteur. Le principe de l’entreprise libérée a été parfois mis en place pour sortir l’entreprise d’une crise grave. Cela a été le cas pour NEW SULZER DIESEL en France et HARLEY-DAVIDSON aux Etats-Unis.

Toutefois la pérennité de ce modèle est souvent liée au maintien dans l’entreprise du dirigeant l’ayant mis en place. Par exemple, le changement chez HARLEY-DAVIDSON de l’actionnaire et du dirigeant qui avait redressé l’entreprise en utilisant ces principes, a provoqué un retour vers une organisation très hiérarchique.

Pour plus d’information sur l’entreprise libérée, que l’on l’appelle aussi « entreprise libérante », se reporter aux notes en fin d’article (2).

 

Comment se déroule un processus de libération entreprise ?

Il n’y a pas de règle. En effet, la notion d’entreprise libérée n’est pas normée. Il y a autant de modèles d’entreprises et de processus de libération que d’entreprises dites libérées. La libération d’entreprise est un cheminement qui demande beaucoup de ténacité et d’humilité de la part du ou des dirigeant(s), le transfert radical de responsabilités au personnel de terrain, la remise en cause de toutes les fonctions d’encadrement et de contrôle, la réorganisation de potentiellement toutes les fonctions de l’entreprise, etc … Le rythme, l’ampleur et le mode des changements doivent être adaptés à chaque situation.

Le processus de libération d’entreprise est une forme radicale de conduite du changement, ce qui fait le lien avec le management de transition.

 

Qu’est-ce que le management de transition ?

Cette activité d'origine anglo-saxonne, consiste à faire intervenir dans une organisation un manager extérieur et expérimenté pour une mission précise et une durée limitée. Il intègre l'effectif de l'entreprise pour toute la durée de sa mission. Un bon manager de transition apporte une grande expérience du métier concerné, a une forte capacité d'adaptation et est orienté résultat. ll intervient pour des missions de direction de projet, d'amélioration de performance, d'accompagnement au développement, de gestion de crise, etc... On lui demande en général d’intervenir rapidement, pour une durée allant de quelques mois à deux ans.

Les managers de transition sont des travailleurs indépendants ou sous CDD ou contrat d’intérim, contractuellement liés directement à l’entreprise cliente ou par l’intermédiaire de cabinets de management de transition. Cette activité est en fort développement en France et y bien moins développée que dans des pays comme l’Angleterre et l’Allemagne.

Pour plus d’information sur le management de transition, se reporter aux notes en fin d’article (3).

 

Management de transition et concept d’entreprise libérée sont-ils compatibles ?

Le Management de transition, dans sa forme la plus connue, du manager de type « hands on » prenant rapidement en main les équipes en place pour conduire le changement, souvent dans un contexte d’urgence, n’est pas compatible avec le style de « management » de l’entreprise libérée décrit plus haut.

Toutefois, il peut y avoir compatibilité si le manager intervenant est apte à manager autrement, à mettre de côté son ego, à faire émerger les savoir-faire du personnel, au lieu de mettre en avant ses propres savoirs, à donner l’orientation et le cadre adéquat aux équipes, à faciliter le bon fonctionnement d’ensemble et à laisser faire le personnel dans les limites acceptables définies avec le donneur d’ordre. Il doit pour cela avoir une autorité naturelle à la hauteur du challenge.

Aussi, pour la suite de cet article, je propose d’appeler le management de transition appliqué aux entreprises « libérées » ou en voie de « libération » : « libération d’énergie » ; et ces managers de transition au profil particulier : « libérateurs d’énergie ».

 

Quels types de mission seraient adaptés ?

Un des principes de l’entreprise libérée consistant à la libérer de l’encadrement, des missions de managers intermédiaires seraient incongrues dans ce contexte. Les missions plus adaptées sont celles correspondant à la direction générale, direction de Business Units et d’usines, ainsi qu’à l’apport temporaire d’expertises techniques non disponibles dans l’entreprise.

Voici 4 exemples de missions envisageables :

1 - Un groupe industriel souhaite remettre en cause son mode de management et dans ce cadre tester le concept d’entreprise libérée dans une de ses usines. Dans un contexte de gel des recrutements et ne trouvant pas de manager interne motivé et adapté pour ce challenge, il fait appel à un « libérateur d’énergie » pour lancer la démarche puis former un manager du groupe avant de lui passer le relais.

2 - L’actionnaire d’une entreprise en crise (insatisfaction des clients, démobilisation du personnel, perte financière depuis 2 ans) souhaite la relancer rapidement par le biais d’un processus de « libération ». N’ayant pas dans ses équipes de manager adapté, ni le temps d’avoir recours à un recrutement, il fait appel à un « libérateur d’énergie » pour prendre l’entreprise en main en urgence, analyser la situation en détail, proposer et mettre en application un projet pour la sortir de la crise en utilisant les principes de l’entreprise libérée.

3 - Une entreprise dite « libérée » souhaite rapidement franchir un cap au niveau organisationnel, en remettant à plat son système d’information et en y adaptant son organisation, sans changer l’esprit d’entreprise libérée. Elle fait habituellement appel aux compétences internes pour tous ces projets, mais cela ne peut s’appliquer dans ce cas compte tenu de la nouveauté technique et organisationnelle et du délai du projet. L’entreprise fait donc appel à un « libérateur d’énergie » expérimenté dans ce type de projet, le temps de sa conception et sa mise en place, et qui sera en début de mission formé au style de management de l’entreprise.

4 - Une PME est dans une démarche de « libération » depuis une année, mais le projet tourne à la crise. Emporté par son enthousiasme de départ et celui des salariés, l’actionnaire-dirigeant n’a pas été suivi par plusieurs cadres clés qui freinent le changement, une part des salariés souhaite faire marche arrière face aux difficultés rencontrées et l’activité de l’entreprise commence à s’en ressentir gravement. L’actionnaire-dirigeant reste convaincu du bien du projet, mais admet son incapacité à conduire le changement. Aussi, il fait appel à un « libérateur d’énergie » expérimenté pour le remplacer temporairement dans ses fonctions de dirigeant opérationnel et pour relancer le projet de « libération ».

 

Quelles sont les conditions du succès ?

Compte tenu des profils encore très particuliers de ces entreprises et de ces projets, la principale difficulté pour réussir de telles missions est de trouver un bon « libérateur d’énergie », c’est à dire un manager compétent, adapté à l’entreprise et à la fonction et réunissant les aptitudes listées plus haut : autorité naturelle, maîtrise de son ego, capacité à faire émerger les savoir-faire du personnel, au lieu de mettre en avant ses propres savoirs, à donner l’orientation et le cadre adéquat aux équipes, à faciliter le bon fonctionnement d’ensemble et à laisser faire le personnel dans les limites acceptables définies par le donneur d’ordre.

Patience, ténacité, imagination, adaptabilité et ouverture d’esprit de plus d’acteurs possibles sont nécessaires pour mener ensemble et accepter les changements radicaux qu’induit la libération d’une entreprise et le maintien de la démarche dans la durée, malgré les obstacles qui ne manqueront pas de se présenter. Il est aussi important d’intégrer dans la démarche la formation et l’accompagnement, parfois psychologique, de tout le personnel de l’entreprise.

Ces missions étant temporaires et compte tenu là aussi des profils très particuliers de ces entreprises et de ces projets, les processus de recrutement du manager définitif et de sa prise de fonction sont à traiter avec beaucoup de soin. C’est en particulier au « libérateur d’énergie » d’assurer que sa mission sera prolongée au-delà de son séjour dans l’entreprise, par la qualité de transmission à son successeur des dossiers, mais aussi de la philosophie et du mode de management de l’entreprise.

 

Quel avenir ?

Compte tenu de ces conditions de réussite difficiles à réunir et de la rareté des entreprises dites « libérées », on pourrait conclure que l’activité de management de transition dans ce domaine va rester encore longtemps marginale. En fait, l’évolution de cette niche d’activité va dépendre de la confirmation ou non de l’engouement actuel pour les notions d’entreprise libérée, de bonheur au travail, de management par la confiance et de management 2.0. Mode passagère ou réelle amorce de changement majeur de mode de management ?

Compte tenu des indicateurs de montée du stress au travail (4), des difficultés d’intégration en entreprises des jeunes générations dites « Y » et « Z » (5) et du changement de paradigme nécessaire pour faire face à la complexification de la vie économique, un changement fort du style de management en entreprise est nécessaire et la « libération d'entreprise »  en est une des facettes. La « libération d’énergie » en entreprise a donc de l’avenir.

 

Didier Douziech

 

(1)    : MOM 21, Mouvement pour l’Organisation et le Management du XXIè siècle, dispense une formation de 3 jours à ses nouveaux membres  sur les principes de l’entreprise libérée.

(2)    : Plus d’information sur l’entreprise libérée sur le Site web de MOM21

(3)    : Voir articles dans ce blog sur le Management de Transition

(4)    : 53 % des salariés et 68 % des managers en France jugent leur travail trop stressant. Source : enquête récente de la CEGOS.

(5)    : La première caractéristique que recherche la jeune génération chez leur futur employeur est « fun ». Source : enquête récente de BNP Paribas

 

Commentaires

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Alain Mathecowitsch

Bonjour Didier,

Excellent article sur un sujet à la mode.
Je réagis en client, puisque je suis face à 2 offres de sous-traitance sur un projet de 2000 j/h (portail Web).
Une des 2 offres émane d'une entreprise dite "libérée" - Officience, corps social de 300 ingénieurs à Saïgon, patron propriétaire Centralien - qui met en avant cette particularité.
La question de l'interface commerciale avec un client qui n'est pas "libéré" se pose : prix, engagement, allocation de ressources, pénalités de retard etc...
Je serais ravi d'en parler avec toi, si tu connais bien le sujet de l'entreprise "libérée".
Amitiés.

Michel Staub

Bonjour Didier,
je ne vois pas comment un manager de transition, donc pour une courte période, pourrait changer profondément le type de management sans avoir l'assurance de la durée. Comme tu le dis toi-même ces expériences sont très liées aux managers en place et certainement demandent plusieurs années pour être déployées et efficaces.
Cordialement

Didier Douziech

Merci Michel de lancer le débat !
J'estime qu'une mission de management de transition, ou dans ce cas-là de « libération d'entreprise », peut aller jusqu'à 2 ans. En une ou deux années, avec de bonnes méthodes, on peut faire beaucoup de choses. Par exemple, au cours de ma dernière mission, en 14 mois nous avons fait passer l'entreprise d'un mode de management très hiérarchique et égocentrique à un mode de management collégial au niveau du comité de direction et plus ou moins participatif dans tous les services (http://www.didier-douziech.fr/2014/03/mission-de-dg-2013-2014.html).
Ce n'était qu'un début de processus de libération d'entreprise, mais j'en ai tiré des leçons pour aller plus loin et plus vite la prochaine fois, si les circonstances le permettent ...

Frédéric DAUBIGNARD

Bonjour,

L'entreprise libérée peut-elle être compatible avec un système qualité contraint par des normes ou des certifications drastiques (aérospatial, équipement médical,...) ?

Frédéric

Didier Douziech

Bonjour et merci pour votre confiance !
Voilà une réponse basée sur ma courte expérience dans ce domaine et le bon sens. La société FAVI, emblématique de ce mouvement, fournit plusieurs constructeurs automobiles qui à ma connaissance exigent la certification ISO/TS. Donc, oui, on peut être certifié et être une entreprise dite "libérée" ou en voie de "libération". Ces notions, elles, ne sont pas normées, donc chaque entreprise et ses membres peuvent construire leur propre bon équilibre, par une démarche de progrès permanent, entre les diverses exigences auxquelles elle ne peuvent pas déroger, comme la satisfaction des exigences des clients et le bonheur au travail du personnel.

Myriam Menneteau

Bonjour,
Merci pour cet article.
Je me permets de répondre à la question de Frédéric. L'entreprise libérée peut être compatible avec un système qualité contraint par des normes ou des certifications drastiques. Je fais partie de Sogilis, entreprise de développement logiciel grenobloise libérée. Nous travaillons dans le domaine de l'aéronautique critique (norme DO178C Niveau A notamment).
Concernant la tendance, de nombreuses entreprises sont en pleine remise en cause et veulent effectuer un travail en profondeur concernant leur organisation (certaines nous contactent). Egalement, les nouvelles générations de managers sont curieux vis-à-vis de ces nouvelles formes de travail. Je suis donc bien d'accord avec votre conclusion sur l'avenir de la "libération d’énergie".

Jacques Burtin

Excellent article sur un sujet qui dépasse le cadre médiatique des SCOP et des startups.
Il mériterait une diffusion plus large sur Linked In par exemple, je suis ok pour relayer le cas échéant.

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